Moi, Stéphanie (aka Elaura),
administratrice du blog Bit-lit.com,
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maman, sorcière, metalhead, Janeite, chieuse à plein-temps. Aime le thé et les kilts.
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mercredi 28 septembre 2016

Lulu par-ci, Lulu par-là, et le Diable dans tout ça ? Partie I


S'il est un être mythique, mythologique, religieux, réel (raye la mention inutile) qui crève l'écran à l'heure actuelle, c'est bien notre bon vieux Lucifer. À bien y repenser, il erre depuis longtemps dans notre imaginaire, dans la littérature, au cinéma, à la télévision, bref, il est partout, et s'il y a une chose que Lulu aime par-dessus tout, c'est d'être au centre de nos pensées.

Il a pris de multiples formes et autant de visages, mais certains nous ont marqué plus que d'autres : Al Pacino, mémorable dans L'Associé du Diable, Robert De Niro, mystérieux dans Angel Heart, ou plus récemment Mark Pellegrino, totalement irrésistible dans Supernatural. Il fascine à chaque fois, surprend par son intelligence, nous révulse par sa cruauté, mais, à aucun moment, nous n'arrivons à le détester vraiment. Il est même très charismatique et exerce sur nous une attraction morbide, malsaine… alors oui, les bad boys sont quand même (et toujours) les plus sexy et les plus intéressants dans une fiction, mais là, on parle du Diable. De Lucifer. Du Prince des enfers. Du Mal à l'état pur etc., blabla, prout prout. C'est quand même à cause de lui que nous avons perdu le paradis... ou pas... parce que finalement Èvea bien aimé la saucisse, enfin le serpent... pardon la pomme, bien sûr.


Alors pourquoi ? Ou devrais-je dire : par quel miracle trouvons-nous le Diable toujours plus bandant que les gentils ? Est-ce un reste de culture antique pour qui Lucifer était avant tout celui qui apportait la connaissance (et donc la lumière) ou est-ce la faute du très pieu John Milton qui fit de Satan le grand héros de son Paradis perdu ? Peut-être incarne-t-il tout simplement le côté obscure de notre humanité (et donc le plus passionnant dans son sens premier) ? Bref, il est difficile de s'y retrouver et de comprendre cette étrange attraction.

Quand on s’intéresse aux origines du personnage, c'est encore plus confus. Soyons honnêtes, nous avons du mal à savoir si Lucifer est réellement mauvais ou si c'est juste une invention pour faire peur aux pauvres mortels que nous sommes et, surtout, si nous parlons vraiment d'une seule et même entité.
Mais revenons à ses débuts sur scène : Lucifer (du latin lux, « lumière », et ferre, « porter », signifiant « Porteur de lumière ») est, dans la mythologie des premiers monothéistes abrahamiques, la figure lumineuse du Malin, c'est-à-dire le Diable dissimulé derrière un aspect angélique. Ce personnage est évoqué dans la bible : « Satan lui-même se camoufle en ange de lumière. » (2 Corinthiens 11:14).
C'est chez le peuple juif qu'on parle de Lucifer pour la première fois, à l'époque d'Isaïe, aux alentours du VIIIe siècle av. J.-C. Dans la pensée de ce judaïsme tardif, les démons sont regardés comme des anges déchus, complices de Satan et devenus ses auxiliaires. Pour évoquer leur chute, on utilise l'imagerie mythique de la guerre des astres (cf. Isaïe 14:12).
Le Lucifer d'Isaïe est, à ces époques anciennes des prophètes juifs, déjà assimilé par la tradition juive à Satan et présenté un peu plus tard, entre le IIIe siècle av. J.-C. et le IVe siècle av. J.-C. dans le livre d'Hénoch, comme un puissant archange déchu à l'origine des temps pour avoir défié Dieu et ayant entraîné les autres anges rebelles dans sa chute. 

Lucifer par Guillaume Geefs - Cathédrale Saint-Paul de Liège

Je ne vais pas te citer des extraits du livre d'Hénoch, d'Ezéchiel ou de celui d'Isaïe, cela risque de t'ennuyer si tu t'intéresses peu à la genèse de Lulu (cela dit, à la demande, je peux écrire un second article d'approfondissement sur la question... à condition que je puisse utiliser des gifs salaces évidemment), mais grosso modo et en résumé : Lucifer est un petit merdeux prétentieux qui aimait sincèrement son papounet d'amour, mais qui s'est rebellé quand celui-ci a demandé à sa création céleste de courber l'échine devant sa création préférée : nous. Le con. Évidemment que cela pouvait déranger un brin ses premiers enfants. On ne demande pas aux aînés de supporter à longueur de journée les conneries des cadets sous-développés. Alors Lucifer, pour emmerder papounet, a montré son gros serpent à Ève.  


Ève a d'abord été très surprise puis s'est laissé tenter. 


Et boum. La chute. La nôtre et celle de Lulu. Tu me suis ?

Alors, vu sous cet angle, on a du mal à lui en vouloir à Lulu. C'est un rebelle et tout le monde aime les rebelles. Mais pourquoi la figure de « Roi des enfers » lui colle-t-il à la peau ?

Chassé du paradis, Lucifer est envoyé parmi les Hommes et n'aura de cesse de vouloir nous tourmenter. L'enfer, selon la tradition chrétienne, représente les limbes dans lesquelles les âmes attendent leur rédemption, mais c'est aussi le lieu de châtiment de Satan et de ses anges déchus ainsi que de toutes les âmes des mortels pécheurs et non-repentis. Pas étonnant que l'archange en ait pris la direction. Les églises orthodoxe et catholique s'accordent sur le fait que le châtiment, en enfer, est éternel. Mais alors, cela voudrait-il dire que l'enfer serait sur terre ? Bah, on n'en est pas loin.

As-tu déjà entendu parler de la Géhenne ? Le terme Géhenne vient de Gehinnon, une vallée située au sud-ouest de la vieille ville de Jérusalem où furent sacrifié des enfants au dieu Moloch. Ce lieu fut transformé en décharge publique par le roi Josias. À l'époque de Jésus, on y jetait les détritus, mais aussi les cadavres d'animaux morts, ainsi que les corps des criminels exécutés, les jugeant indignes d'une sépulture décente. Ceci pour préserver la ville de toute souillure par rapport au culte rendu au temple et pour lequel la ville devait rester pure. Pour entretenir ce feu continuellement afin de se débarrasser des immondices et éviter les épidémies, on y versait régulièrement du soufre. La géhenne fut ainsi associée au feu qui ne s'éteint jamais. Jésus se servit de ce lieu pour expliquer à ses contemporains que la géhenne symbolisait le châtiment définitif, lieu du feu éternel où, après le Jugement dernier, seront jetés le Diable (appelé également Satan, c’est-à-dire « l'Adversaire »), ses anges et les gens qui sont morts dans leurs péchés (Matthieu, chapitre 25, verset 41) (Réjouis-toi, tu es dispensé du chapitre 20 de l'Apocalypse qui fait état des tourments du Diable et des âmes damnées). Alors oui, métaphoriquement, on peut dire que l'enfer est sur terre. Ou que la Terre est un enfer. Comme tu le souhaites. Ou pas. Ou qu'en fait, le tout est une grosse erreur de traduction. Mais je ne vais pas m'étaler sur le sujet, revenons à notre bouc. 


Satan donc, Lucifer, Belzébuth, qui pour certains démonologues sont en fait trois démons, trois princes des enfers bien distincts, représentent la même entité dans les écritures. Si dans l'antiquité la figure même du roi des enfers faisait partie du décor (Hadès était un dieu comme les autres), c'est au Moyen Âge que la figure satanique prend toute sa substance démoniaque. Il fallait faire peur, l'homme devait par-dessus tout craindre l'enfer et supporter sa vie sur Terre, aussi merdique soit-elle. C'est à ce moment-là que la connotation morale du Mal fait son entrée. 

À cette époque, l'iconographie se concentre sur les aspects les plus désagréables et les plus monstrueux que l'on puisse imaginer. Satan n'a rien d'humain, le lien entre le mal et la bestialité est à son paroxysme, il faut montrer l'enfer pour que le croyant le craigne et agisse, tout au long de sa vie, dans la lumière de Dieu. Dante, dans sa Divine Comédie, présente le diable comme une monstruosité un peu grotesque, immense bête qui dévore les pécheurs. Il est humilié, car il est coincé dans la glace qu'il produit lui-même, il est l'image même de la défaite. 


À la Renaissance, et ce, malgré la découverte des classiques, l'aspect moral marquera à jamais Lucifer comme la bête, le menteur, le méchant de l'histoire et par définition, le vaincu.

Les choses commenceront à changer à la fin du XVIe et au XVIIe siècle avec trois grandes œuvres majeures qui marqueront à jamais la figure luciférienne : la Gerusalemme Liberata de Torquato Tasso (œuvre magistrale traduite en français par La Jérusalem libérée), Le Paradis perdu de John Milton et Le Diable boiteux de Le Sage.


C'est Tasso (appelé également Le Tasse en France) qui entérinera le changement subtil de la figure de Satan dans sa Jérusalem libérée, en s'inspirant directement des classiques de l'antiquité. En effet, la reprise de la tradition classique poussera le poète à réutiliser le nom de Pluton déjà donné à Lucifer à l'époque romaine. Il lui confère également une autorité et une royauté certaine malgré sa chute, majesté qu'il avait perdue au Moyen Âge. Le Diable s'entoure de démons à la mine chevaleresque ; ainsi se met en place une certaine hiérarchie féodale. 
Mais l'élément le plus marquant, c'est que le Satan de Tasso parle. Oui, il a le don de la parole, prérogative des êtres libres et le pouvoir de la parole est énorme. Si dans La Divine Comédie de Dante, le Diable est grotesque (ce qui était admis puisque le ton était satirique), chez Tasso, il est mu par un souffle épique. C'est un roi à l'aspect vénérable qui ne pense qu'à se venger de Dieu. Un mélange des deux traditions donc, classique et médiévale, dans l’œuvre de Le Tasse qui inspirera fortement Milton pour son Paradis perdu.

Satan selon Milton

S'il y a une œuvre qui a particulièrement marqué les esprits, c'est bien celle-ci. On retrouve les références à Milton quasiment dans toutes les œuvres fantastiques mettant en scène Lucifer, qu'elles soient littéraires, cinématographiques, ou télévisuelles. Le Paradis perdu est l'inspiration principale du Lucifer contemporain. 


Le Satan de Milton apparaît comme un rebelle indomptable, un guerrier mythique aux multiples facettes qui peut être doué de sentiments. Mais quand la figure héroïque commence à faire surface, elle est vite rattrapée par la soif de pouvoir et de domination. Des émotions profondément humaines en somme. S'il reste toujours la figure du mal, de l'orgueil et de l'exemple même de la voie qu'il ne faut pas suivre, le Satan de Milton est incontestablement le plus humain, car nous pouvons l'entendre et partager ses sentiments. Et c'est en cela, en montrant les défauts que nous partageons avec lui, qu'il est particulièrement charmant et bien plus proche de nous que n'importe quelle autre figure divine. 

La chute de Lucifer - Gustave Doré

 Il n'est donc pas étonnant que William Blake et le mouvement des romantiques ont vu en lui le véritable héros du Paradis perdu : il est un noble prince vaincu, dont le caractère et les idéaux ne sont point éclaboussés par la défaite ; bien au contraire, il n'en apparaît que plus charismatique. Si Milton avait l'intention de montrer une image du Diable très négative, l'effet fut tout autre. La personnalité de son Lucifer a fasciné le public, caractérisée par un désir profond d'expérimenter et d'exercer sa liberté en tant qu'individu coûte que coûte. Une image profondément romantique en somme. 

Lucifer - Gustave Doré
 

Chez Le Sage (et pour faire court, je crois que je te perds lecteur), Satan apparaît comme un homme juste et charismatique, mais dont la fréquentation mène forcément à sa perte. Il apparaît également comme un personnage à la psychologie complexe, doué d'intelligence et manipulateur. Mais ce qui est nouveau, c'est que de sa rencontre peut naître la richesse (intellectuelle notamment, encore une référence à la tradition classique). Mais le Satan de Le Sage a une nouvelle particularité, il est doué de franchise et n'a point besoin de mentir pour parvenir à ses fins. Il n'en a pas l'usage. Il ira même jusqu'à récompenser ses bons et loyaux serviteurs.

Il apparaît évident que la figure du Diable a considérablement changé entre le Moyen Âge et le XVIIe siècle, notamment grâce à Tasso et à Milton. Au début du XVIIIe siècle, son image est très novatrice, mélangeant la terreur inspirée par l'époque médiévale et la fascination complexe de l'héritage de Milton, à telle point qu'à l'époque suivante, l'ensemble sera repris par les auteurs qui feront de Lucifer le grand héros du XIXe siècle. 

 

Dans une seconde partie, je te parlerai, lecteur, de la figure du Diable sur le grand et le petit écran (avec des gifs et des vidéos), mais également dans la musique, parce qu'après tout, son héritage musical est aussi important que son héritage littéraire ;) 






Sources :

Wikipédia 
La Divine Comédie Dante
Le Paradis perdu John Milton
Le diable boiteux Le Sage
La Jérusalem libérée Torquato Tasso