S'il y a un nom qui ne peut laisser
personne indifférent, c'est bien celui de Peter Jackson. Il faudrait
avoir vécu caché dans une forêt pour ne pas le connaître tant il
a marqué durablement le cinéma de genre.
Personnellement, je connais Peter (bah
voui, c'est un intime) depuis Bad Taste. Le film le plus
dégueulasse que j'ai jamais vu, mais aussi le plus marrant (quand on
aime les extra-terrestres qui bouffent les cerveaux).
Puis il y a eu
The Feebles et surtout Braindead. Et là, je suis
définitivement tombée amoureuse. Le film de zombies culte par
excellence comme je les aime. Gore et décalé mais très ambitieux.
Peter ne rigole pas avec le cinéma et il donne déjà à cette forme
d'expression un côté lyrique. Oui, même avec les zombies, parce
que Peter aime les monstres, il est comme ça.
Mais Peter n'est pas qu'un réalisateur
de films d'horreur, il est capable de bien plus que de raconter les
dérives sexuelles de marionnettes ou d'expliquer en image comment
utiliser une tondeuse à gazon pour tuer des zombies. Il nous le
prouve avec Créatures célestes, drame poétique que personne
n'a vu venir et qui a récolté un bon nombre de prix dont le Lion
d'argent au festival de la Mostra de Venise. Peter est enfin pris au
sérieux, sa plus grande aventure peut commencer.
En 1999 débute le tournage du Seigneur
des anneaux, celui-ci se terminera en 2000 et les pickups
en 2003. Nous connaissons tous le succès international de la
trilogie, je n'ai pas vraiment besoin de revenir dessus. 3 milliards
de dollars de recette, 17 oscars pour l'ensemble de la trilogie et un
oscar du meilleur réalisateur en 2004 pour Le Retour du roi.
C'est ce qu'on appelle un beau succès pour une trilogie qui était
mal partie au départ, pas grand monde n'y croyait.
Peter n'a jamais souhaité réaliser
The Hobbit, mais l'insistance des fans et du studio le pousse
finalement à travailler sur le projet en tant que coscénariste
(avec sa femme, Fran, et Philippa Boyens) et producteur. C'est
Guillermo Del Toro, un autre grand amoureux des monstres qui est
censé le réaliser, mais celui-ci démissionne en mai 2010 ne
pouvant plus attendre après les incessants reports de dates de
tournage. En effet, divers problèmes de droits se posent et ils ne
seront réglés qu'en 2011. Peter reprend finalement le projet
puisqu'il était déjà bien avancé et le studio, la MGM, avait déjà
financé plus de deux ans de pré-production. Quelques ulcères
hémorragiques plus tard (on est potes d'ulcères avec Peter, on se
comprend bien), le tournage du Hobbit débute enfin en mars
2011 .
Cette longue introduction à mon propos
n'est pas ici tout à fait par hasard. Il était important pour moi
de resituer le personnage et de rappeler que tous les projets de
cette ampleur sont forcément risqués, compliqués et que, pour
arriver à terme, ils nécessitent de la persévérance, du talent,
mais surtout de la passion. Et Peter n'en manque pas.
Les trois volets du Hobbit ont
eu beaucoup de succès et ils étaient très attendus. Pourtant, ils
furent également très critiqués. Trop de comparaisons avec sa
première trilogie (et c'était justement pour cette raison que Peter
ne souhaitait pas les réaliser), mais aussi diverses critiques
techniques et surtout scénaristiques ; le principal reproche
étant que trop d'éléments de l'intrigue ne se trouvaient pas dans
le livre original. Ce genre de critiques me fait très souvent
rigoler, car elles ne sont pas totalement fondées. Mais faisons le point
ensemble, veux-tu ?
Déjà, il est quand même bon de
rappeler qu'une adaptation ciné d'un livre ou d'une BD n'est qu'une
vision personnelle de cette même œuvre. Jamais, dans l'histoire du
cinéma, je n'ai vu une adaptation fidèle mot pour mot, chapitre
pour chapitre, d'un livre. Ce serait d'une part très ennuyeux et
d'autre part complètement inutile. De plus, ce que chacun ressent et
imagine tout le long d'une lecture est quelque chose de singulier et
personnel, nous n'avons jamais la même vision d'un personnage ni le
même ressenti face à une situation.
Trop de comparaisons avec sa
première trilogie
Le Seigneur des anneaux a
durablement marqué les esprits et à raison. D'une part, cette
adaptation fut une merveille visuelle et technologique et, d'autre
part, a réconcilié le grand public (et les studios) avec un genre
bien souvent décrié : la fantasy.
Le ton dramatique du Seigneur des
anneaux est aussi très présent dans les livres, mais également
à l'écran. Ce sont, au final, des films assez sombres, et le public
(ainsi que beaucoup de critiques) fut assez surpris par l'aspect,
disons plus coloré, du premier volet du Hobbit. Et pour
cause, Le Hobbit est avant tout un livre pour enfant
avant d'être un préquel au Seigneur des anneaux.
Rappelons qu'il fut écrit dans les
années 30 (et fut publié en 1937), par un Tolkien qui voulait avant
tout amuser sa progéniture. Pour le coup, les aventures de Bilbo et
des treize nains paraissent bien plus fades et loufoques face à
celle de la quête de l'anneau. Et pourtant, beaucoup de choses se
jouent à ce moment de l'histoire, puisque c'est le succès du Hobbit
qui amènera Tolkien à écrire sa « suite » qui sera
publiée presque vingt ans plus tard (sans parler de l'univers créé
autour).
Sachant que Le Hobbit
n'était en fait qu'une très mince introduction à l'univers de la
Terre du Milieu, il a fallu créer de nombreux liens avec la première
trilogie. Au cinéma, les intrigues doivent avoir un bon nombre de
rebondissements pour ne pas perdre le spectateur, elles doivent donc
être très enrichies visuellement à la différence d'un roman où
les émotions peuvent être décrites en quelques lignes. A
ce propos, le travail scénaristique de Peter, Fran, Philippa et
Guillermo fut assez incroyable, car, d'une part, ils répondent enfin
à beaucoup de questions qui restent en suspens après la lecture du
Hobbit, et, d'autre part, ils ont assuré une continuité
vitale entre les deux trilogies.
Trop d'éléments de l'intrigue ne
se trouvent pas dans le livre original
Et j'ai envie de
dire que c'est tant mieux. Tous ceux qui ont lu Le Hobbit
se souviennent (du moins je l'espère) que l'intrigue principale est
assez mince : un hobbit qui n'a rien demandé se retrouve
propulsé dans une aventure incroyable, pleine de péripéties, pour
aider treize nains à déloger un dragon d'une montagne remplie d'or.
C'est léger pour en faire trois films.
On pourrait donc
reprocher au réalisateur d'avoir voulu en faire trois, alors que
seulement deux étaient prévus au départ. Or, faire trois films
était finalement plus que souhaitable et je vais te dire pourquoi :
tous ceux qui ont lu Le Hobbit savent que dans le
récit, il y a des trous narratifs qui te laissent le temps d'aller
lire la Bible. Eh oui, beaucoup d'éléments sont à peine évoqués
et ne seront jamais développés, au grand damne du lecteur.
Qui est
finalement ce Nécromancien ? Que va faire Gandalf pendant plus
de la moitié du livre avant de revenir comme une fleur à la fin
pour la bataille ? Le nécromancien est vaincu... par qui ?
Comment ? Pourquoi des hordes de gobelins et d'orques débarquent
à Dale pour conquérir la montagne ? Pourquoi le dragon Smaug
quitte Erebor pour attaquer les habitants de Lacville alors qu'il
savait que les nains étaient chez lui ?
Les nains restent
cachés du dragon au lieu de l'affronter. Est-ce que, visuellement,
cela sert le film ? Ou faut-il plutôt rajouter une scène de
bataille qui nous rappelle que les nains sont de grands guerriers et
qu'ils feront tout pour reconquérir leur maison ?
Que celui qui
pense que j'ai tort à ce propos me lance le premier rocher sur son
passage. Avoue-le, lecteur, adapter Le Hobbit tel qu'il
est aurait été totalement décousu et d'un ennui mortel.
Ou un gif de Tom, ça fait moins mal *_* |
Les rajouts
scénaristiques servent totalement les films, mais enrichissent
également l'intrigue et répondent à bon nombre de nos questions.
De plus, certains éléments supplémentaires ont été écrits par
Tolkien lui-même, pas dans Le Hobbit, mais dans les
appendices du Seigneur des anneaux, comme le Conseil Blanc,
qui fait admirablement le lien entre les deux trilogies, ou la
rencontre de Gandalf et Thorin à Bree qui comble les trous
scénaristiques du premier film et qui explique pourquoi Gandalf
pousse Thorin à entreprendre cette quête et à recruter un
cambrioleur.
Azog le
profanateur a également été créé par Tolkien et apparaît dans
les appendices ; la liberté des scénaristes a été d'en faire
le méchant de l'histoire, car tout bon héros à besoin de son
antagoniste.
Maintenant,
parlons de la grosse polémique, car il en faut bien une à chaque
fois, hein, sinon on s’ennuierait. La présence de Legolas, absent
de l’œuvre originale, et de Tauriel, personnage créé de toutes
pièces.
Pour le premier,
personnellement, je trouve assez fun de le retrouver chez lui et de
voir ses relations avec son père. Thranduil est un personnage
important dans le livre et rajouter la présence de son fils est un
excellent lien avec les aventures qui suivront. De plus, il aurait
été curieux d'aller chez les elfes sylvestres sans voir Legolas,
puisque 60 ans plus tard, il est un elfe adulte, un prince qui prend
part à une quête importante. Au final, le voir participer à cette
aventure semble logique et raccord avec la première trilogie.
Passons à
Tauriel. Comme dans Le Seigneur des anneaux dans lequel Peter
à donner beaucoup plus d'importance aux rôles féminins qu'il n'y
en a réellement dans les livres, il a voulu rajouter une note
féminine. Dans Le Hobbit, il n'y a pas de femmes.
Personnellement, ça ne me gêne pas du tout. Mais voilà, à
l'époque de la sortie du premier film, j'ai lu beaucoup de critiques
sur le fait que le film était machiste. Hum, ça m'a donné beaucoup
de boutons, sincèrement beaucoup de boutons et je me suis dit que
les gens étaient quand même un peu débiles de faire une telle
critique, car dans l’œuvre originale, il n'y a PAS de femmes. Ce
n'est donc pas de la faute de Peter. Mais comme il faut trouver un
coupable, on a ensuite dit que Tolkien était un écrivain misogyne.
Et là, j'ai encore eu beaucoup de boutons et je ne remercie donc pas
les personnes qui ont émis de telles sottises.
Faut-il que je te
fasse un cours d'histoire ? Que je resitue l'écriture du Hobbit
dans le temps ? Allez, je suis d'humeur joueuse. La rédaction
du Hobbit a débuté dans les années 20 pour se terminer dans
les années 30. Connais-tu beaucoup d’œuvres littéraires
d'aventures (c'est important de préciser « d'aventures »)
rédigées à cette époque, avec des héroïnes fortes ? Hein ?
J'attends... Eh bien, il n'y en a pas beaucoup. Même Wonder Woman
n’existait pas (1940). Alors le seul reproche que l'on peut faire à
Tolkien, universitaire anglais tranquille, marié et père de
famille, c'est d'avoir été un homme... de son temps. Bouhouuuu le
méchant.
Alors, la création
du personnage de Tauriel devait satisfaire tout le monde, sauf que ça
n'a pas été le cas. Pourtant, je la trouve géniale, moi, cette
elfe qui se dresse contre son roi pour une juste cause. Elle est
belle, forte, douée avec une dague, mais elle a un faible pour un
nain... ah, encore un sujet polémique. Non, pas pour le nain (du
moins, je l'espère, au moins on ne reprochera pas au réalisateur de
faire de la discrimination entre espèces, hein !), mais pour la
touche de romance rajoutée à l'intrigue. J'ai lu des choses comme
« Il fait comme dans Le Seigneur des anneaux, y a une
histoire d'amour entre un elfe et un nain, c'est débile. » Ah.
Mais il est où le problème ? Parce que c'est sans fin... Il
n'y a pas de femme, quand il y en a une, il ne faut surtout pas
qu'elle tombe amoureuse parce que c'est débile. Ok. Les grands
philosophes ont parlé.
Je ne dis pas que
la critique n'est pas fondée, après tout, on pourrait se demander
pourquoi, parce qu'il y a une femme, la romance pointe le bout de son
nez. Et j'ai envie de dire, pourquoi pas ? Après tout, une
héroïne forte peut avoir des sentiments et les exprimer. Ce n'est
pas incompatible. Même Sarah Connor est tombée amoureuse, bordel !
Bref, tu l'auras
compris, face à tant de critiques pointilleuses et pas forcément
constructives, j'ai fini par laisser tomber pour apprécier
pleinement chacun des films. Je ne dis pas qu'ils sont parfaits, loin
de là, d'ailleurs, les versions longues des deux premiers films sont
bien meilleures que les versions cinéma. Mais, face à tant de
travail et de conviction, on ne peut pas les reléguer à de simples
pop-corn movies lambda.
Et les nains dans tout ça ?
Disons-le tout
net, ils sont exceptionnels. Dans le livre, Tolkien n'en décrit que
trois ou quatre, et ils ne sont différenciés que par la couleur de
leur bonnet. Ça, au cinéma, ça ne peut pas passer. Ils doivent
tous être différents et avoir leur histoire propre pour que le
spectateur puisse développer une certaine empathie envers eux. D'où
le soin particulier qui a été donné à la création de chacun, que
ce soit sur leur physique, sur leurs vêtements ou leur comportement.
Il était important que nous ayons de la sympathie pour Balin, par
exemple, puisque c'est chez lui que Gimli emmène la communauté pour
un détour par la Moria dans Le Seigneur des anneaux. Nous
voyons sa tombe et le massacre dont lui et les siens ont été
victimes. Il fallait bien reconnaître également Gloin, le père de
Gimli. Bref, tous ont des origines et un vécu bien distincts qu'il
fallait voir et comprendre dans Le Hobbit. Les scénaristes ne
pouvaient pas se contenter seulement d'énumérer leurs noms alors
qu'ils sont le cœur même de l'histoire. Et là est la magie du
cinéma, Peter nous a offert ce que Tolkien n'a pas fait ou pas pu
faire à l'époque de la création du Hobbit, qui n'était, je
le rappelle, qu'une œuvre qui devait rester confidentielle. L'auteur
a mis vingt ans de plus pour enrichir la Terre du Milieu.
Alors oui,
d'autres choix scénaristiques peuvent être discutables, comme le
fait que Kili, Fili et Bombur rejoignent le reste de la troupe
qu'après l'attaque de Lacville. Personnellement, tant que tous les
nains sont rassemblés au bon moment, ça ne me pose pas de problème,
c'est juste une péripétie de plus qui a permis au couple Tauriel /
Fili d'avoir un peu de place dans l'histoire et d'assister à des
combats bien badass entre Legolas et Bolg ; du positif en
somme. L'essentiel est présent et respecté et le spectacle n'en est
que plus intéressant. Bref, avec un peu de recul par rapport à
l’œuvre princeps, on peut reconnaître que ces trois films nous
offrent de très beaux moments de cinéma.
Que l'on aime ou
pas Le Hobbit, on ne peut que s'incliner face à Peter qui
aura passé plus de quinze ans de sa vie à adapter Tolkien à
l'écran.
Moi, j'aime ses
deux trilogies et j'attends avec une grande impatience la version
longue du dernier volet, La Bataille des Cinq Armées. Parce
que les deux forment un tout, une histoire incroyable qui débute
avec Bilbo et qui se termine avec Frodon, et comme le dit si bien
Gandalf « Toutes les bonnes histoires méritent d'être
enjolivées. »
Merci Peter, la
Terre du Milieu va me manquer...