S'il est un être mythique,
mythologique, religieux, réel (raye la mention inutile) qui crève
l'écran à l'heure actuelle, c'est bien notre bon vieux Lucifer. À
bien y repenser, il erre depuis longtemps dans notre imaginaire, dans
la littérature, au cinéma, à la télévision, bref, il est
partout, et s'il y a une chose que Lulu aime par-dessus tout, c'est
d'être au centre de nos pensées.
Il a pris de multiples formes et autant
de visages, mais certains nous ont marqué plus que d'autres :
Al Pacino, mémorable dans L'Associé du Diable, Robert De
Niro, mystérieux dans Angel Heart, ou plus récemment Mark
Pellegrino, totalement irrésistible dans Supernatural. Il
fascine à chaque fois, surprend par son intelligence, nous révulse
par sa cruauté, mais, à aucun moment, nous n'arrivons à le
détester vraiment. Il est même très charismatique et exerce sur
nous une attraction morbide, malsaine… alors oui, les bad boys
sont quand même (et toujours) les plus sexy et les plus intéressants
dans une fiction, mais là, on parle du Diable. De Lucifer. Du Prince
des enfers. Du Mal à l'état pur etc., blabla, prout prout. C'est
quand même à cause de lui que nous avons perdu le paradis... ou
pas... parce que finalement Èvea bien aimé la saucisse, enfin le serpent... pardon la pomme, bien
sûr.
Alors pourquoi ? Ou devrais-je
dire : par quel miracle trouvons-nous le Diable toujours plus
bandant que les gentils ? Est-ce un reste de culture antique
pour qui Lucifer était avant tout celui qui apportait la
connaissance (et donc la lumière) ou est-ce la faute du très pieu
John Milton qui fit de Satan le grand héros de son Paradis
perdu ? Peut-être incarne-t-il tout simplement le côté
obscure de notre humanité (et donc le plus passionnant dans son sens
premier) ? Bref, il est difficile de s'y retrouver et de
comprendre cette étrange attraction.
Quand on s’intéresse aux origines du
personnage, c'est encore plus confus. Soyons honnêtes, nous avons du
mal à savoir si Lucifer est réellement mauvais ou si c'est juste
une invention pour faire peur aux pauvres mortels que nous sommes et,
surtout, si nous parlons vraiment d'une seule et même entité.
Mais revenons à ses débuts sur
scène : Lucifer (du latin lux,
« lumière », et ferre, « porter »,
signifiant « Porteur de lumière ») est, dans la
mythologie des premiers monothéistes abrahamiques, la figure
lumineuse du Malin, c'est-à-dire le Diable dissimulé derrière un
aspect angélique. Ce personnage est évoqué dans la bible :
« Satan lui-même se camoufle en ange de lumière. » (2
Corinthiens 11:14).
C'est chez le peuple juif qu'on parle
de Lucifer pour la première fois, à l'époque d'Isaïe, aux
alentours du VIIIe siècle av. J.-C. Dans la pensée de ce
judaïsme tardif, les démons sont regardés comme des anges déchus,
complices de Satan et devenus ses auxiliaires. Pour évoquer leur
chute, on utilise l'imagerie mythique de la guerre des astres (cf.
Isaïe 14:12).
Le Lucifer d'Isaïe est, à ces époques
anciennes des prophètes juifs, déjà assimilé par la tradition
juive à Satan et présenté un peu plus tard, entre le IIIe siècle
av. J.-C. et le IVe siècle av. J.-C. dans
le livre d'Hénoch, comme un puissant archange déchu à
l'origine des temps pour avoir défié Dieu et ayant entraîné les
autres anges rebelles dans sa chute.
Lucifer par Guillaume Geefs - Cathédrale Saint-Paul de Liège |
Je ne vais pas te citer des extraits du
livre d'Hénoch, d'Ezéchiel ou de celui d'Isaïe,
cela risque de t'ennuyer si tu t'intéresses peu à la genèse de
Lulu (cela dit, à la demande, je peux écrire un second article
d'approfondissement sur la question... à condition que je puisse
utiliser des gifs salaces évidemment), mais grosso modo et en
résumé : Lucifer est un petit merdeux prétentieux qui aimait
sincèrement son papounet d'amour, mais qui s'est rebellé quand
celui-ci a demandé à sa création céleste de courber l'échine
devant sa création préférée : nous. Le con. Évidemment que
cela pouvait déranger un brin ses premiers enfants. On ne demande
pas aux aînés de supporter à longueur de journée les conneries
des cadets sous-développés. Alors Lucifer, pour emmerder papounet,
a montré son gros serpent à Ève.
Ève a
d'abord été très surprise puis s'est laissé tenter.
Et boum. La
chute. La nôtre et celle de Lulu. Tu me suis ?
Alors, vu sous cet angle, on a du mal à
lui en vouloir à Lulu. C'est un rebelle et tout le monde aime les
rebelles. Mais pourquoi la figure de « Roi des enfers »
lui colle-t-il à la peau ?
Chassé du paradis, Lucifer est envoyé
parmi les Hommes et n'aura de cesse de vouloir nous tourmenter.
L'enfer, selon la tradition chrétienne, représente les limbes dans
lesquelles les âmes attendent leur rédemption, mais c'est aussi le
lieu de châtiment de Satan et de ses anges déchus ainsi que de
toutes les âmes des mortels pécheurs et non-repentis. Pas étonnant
que l'archange en ait pris la direction. Les églises orthodoxe et
catholique s'accordent sur le fait que le châtiment, en enfer, est
éternel. Mais alors, cela voudrait-il dire que l'enfer serait sur
terre ? Bah, on n'en est pas loin.
As-tu déjà entendu parler de la
Géhenne ? Le terme Géhenne vient de Gehinnon, une vallée
située au sud-ouest de la vieille ville de Jérusalem où furent
sacrifié des enfants au dieu Moloch. Ce lieu fut transformé en
décharge publique par le roi Josias. À l'époque de Jésus, on y
jetait les détritus, mais aussi les cadavres d'animaux morts, ainsi
que les corps des criminels exécutés, les jugeant indignes d'une
sépulture décente. Ceci pour préserver la ville de toute souillure
par rapport au culte rendu au temple et pour lequel la ville devait
rester pure. Pour entretenir ce feu continuellement afin de se
débarrasser des immondices et éviter les épidémies, on y versait
régulièrement du soufre. La géhenne fut ainsi associée au feu qui
ne s'éteint jamais. Jésus se servit de ce lieu pour expliquer à
ses contemporains que la géhenne symbolisait le châtiment
définitif, lieu du feu éternel où, après le Jugement dernier,
seront jetés le Diable (appelé également Satan, c’est-à-dire
« l'Adversaire »), ses anges et les gens qui sont
morts dans leurs péchés (Matthieu, chapitre 25, verset 41)
(Réjouis-toi, tu es dispensé du chapitre 20 de l'Apocalypse qui
fait état des tourments du Diable et des âmes damnées). Alors oui,
métaphoriquement, on peut dire que l'enfer est sur terre. Ou que la
Terre est un enfer. Comme tu le souhaites. Ou pas. Ou qu'en fait, le
tout est une grosse erreur de traduction. Mais je ne vais pas
m'étaler sur le sujet, revenons à notre bouc.
Satan donc, Lucifer, Belzébuth, qui
pour certains démonologues sont en fait trois démons, trois princes
des enfers bien distincts, représentent la même entité dans les
écritures. Si dans l'antiquité la figure même du roi des enfers
faisait partie du décor (Hadès était un dieu comme les autres),
c'est au Moyen Âge que la figure satanique prend toute sa substance
démoniaque. Il fallait faire peur, l'homme devait par-dessus tout
craindre l'enfer et supporter sa vie sur Terre, aussi merdique
soit-elle. C'est à ce moment-là que la connotation morale du Mal
fait son entrée.
À cette époque, l'iconographie se concentre sur
les aspects les plus désagréables et les plus monstrueux que l'on
puisse imaginer. Satan n'a rien d'humain, le lien entre le mal et la
bestialité est à son paroxysme, il faut montrer l'enfer pour que le
croyant le craigne et agisse, tout au long de sa vie, dans la lumière
de Dieu. Dante, dans sa Divine Comédie, présente le diable
comme une monstruosité un peu grotesque, immense bête qui dévore les pécheurs. Il est humilié, car il est coincé
dans la glace qu'il produit lui-même, il est l'image même de la
défaite.
À la Renaissance, et ce, malgré la
découverte des classiques, l'aspect moral marquera à jamais Lucifer
comme la bête, le menteur, le méchant de l'histoire et par
définition, le vaincu.
Les choses commenceront à changer à
la fin du XVIe et au XVIIe siècle avec trois
grandes œuvres majeures qui marqueront à jamais la figure
luciférienne : la Gerusalemme
Liberata de
Torquato Tasso (œuvre magistrale traduite en français par La
Jérusalem libérée),
Le Paradis perdu
de John Milton et Le
Diable boiteux de
Le Sage.
C'est
Tasso (appelé également Le
Tasse en France)
qui entérinera le changement subtil de la figure de Satan dans sa
Jérusalem libérée,
en s'inspirant directement des classiques de l'antiquité. En effet,
la reprise de la tradition classique poussera le poète à réutiliser
le nom de Pluton
déjà donné à Lucifer à l'époque romaine. Il lui confère
également une autorité et une royauté certaine malgré sa chute,
majesté qu'il avait perdue au Moyen Âge. Le Diable s'entoure de
démons à la mine chevaleresque ; ainsi se met en place une
certaine hiérarchie féodale.
Mais l'élément le plus marquant,
c'est que le Satan de Tasso parle. Oui, il a le don de la parole,
prérogative des êtres libres et le pouvoir de la parole est énorme.
Si dans La Divine
Comédie de Dante,
le Diable est grotesque (ce qui était admis puisque le ton était
satirique), chez Tasso, il est mu par un souffle épique. C'est un
roi à l'aspect vénérable qui ne pense qu'à se venger de Dieu. Un
mélange des deux traditions donc, classique et médiévale, dans
l’œuvre de Le
Tasse qui inspirera
fortement Milton pour son Paradis
perdu.
Satan
selon Milton
S'il y
a une œuvre qui a particulièrement marqué les esprits, c'est bien
celle-ci. On retrouve les références à Milton quasiment dans
toutes les œuvres fantastiques mettant en scène Lucifer, qu'elles
soient littéraires, cinématographiques, ou télévisuelles. Le
Paradis perdu est
l'inspiration principale du Lucifer contemporain.
Le
Satan de Milton apparaît comme un rebelle indomptable, un guerrier
mythique aux multiples facettes qui peut être doué de sentiments.
Mais quand la figure héroïque commence à faire surface, elle est
vite rattrapée par la soif de pouvoir et de domination. Des émotions
profondément humaines en somme. S'il reste toujours la figure du
mal, de l'orgueil et de l'exemple même de la voie qu'il ne faut pas
suivre, le Satan de Milton est incontestablement le plus humain, car
nous pouvons l'entendre et partager ses sentiments. Et c'est en cela,
en montrant les défauts que nous partageons avec lui, qu'il est
particulièrement charmant et bien plus proche de nous que n'importe
quelle autre figure divine.
La chute de Lucifer - Gustave Doré |
Il n'est donc pas étonnant que William
Blake et le mouvement des romantiques ont vu en lui le véritable
héros du Paradis
perdu : il est
un noble prince vaincu, dont le caractère et les idéaux ne sont
point éclaboussés par la défaite ; bien au contraire, il n'en
apparaît que plus charismatique. Si Milton avait l'intention de
montrer une image du Diable très négative, l'effet fut tout autre.
La personnalité de son Lucifer a fasciné le public, caractérisée
par un désir profond d'expérimenter et d'exercer sa liberté en
tant qu'individu coûte que coûte. Une image profondément
romantique en somme.
Lucifer - Gustave Doré |
Chez Le Sage
(et pour faire court, je crois que je te perds lecteur), Satan
apparaît comme un homme juste et charismatique, mais dont la
fréquentation mène forcément à sa perte. Il apparaît également
comme un personnage à la psychologie complexe, doué d'intelligence
et manipulateur. Mais ce qui est nouveau, c'est que de sa rencontre
peut naître la richesse (intellectuelle notamment, encore une
référence à la tradition classique). Mais le Satan de Le Sage a
une nouvelle particularité, il est doué de franchise et n'a point
besoin de mentir pour parvenir à ses fins. Il n'en a pas l'usage. Il
ira même jusqu'à récompenser ses bons et loyaux serviteurs.
Il apparaît
évident que la figure du Diable a considérablement changé entre le
Moyen Âge et le XVIIe siècle, notamment grâce à Tasso
et à Milton. Au début du XVIIIe siècle, son image est
très novatrice, mélangeant la terreur inspirée par l'époque
médiévale et la fascination complexe de l'héritage de Milton, à
telle point qu'à l'époque suivante, l'ensemble sera repris par les
auteurs qui feront de Lucifer le grand héros du XIXe
siècle.
Sources :
Wikipédia
La Divine Comédie Dante
Le Paradis perdu John Milton
Le diable boiteux Le Sage
La Jérusalem libérée Torquato Tasso
Ah ah ah !! Merci pour ce chouette moment de rigolade !! Instructif et marrant !! J'attend le suivant avec impatience ;)
RépondreSupprimerDe rien ^^ j'ai beaucoup aimé l'écrire cet article, je me mets au boulot pour le suivant ^^
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